Eloge Funèbre
Benoit Lapouge
Et Voilà, Marao - comme dit Lilian, paulista-carioca, ta si tendre et douce Amie brésilienne, en un mot, la vie, vive-argent depuis près de quarante ans - tu viens de plonger dans « Le Grand Sommeil  » une Ange et une étoile parmi le « Le Serpent d’Etoiles ».
Car, Oui, comme me l’a écrit Mon Amie Marie-Odile Fortier-Masek, elle aussi immense traductrice «Maryvonne s'en est donc allée partager la sérénité des anges» lesquels, on le sait, n’ont guère de problèmes si embarrassants, parfois,de sexe.
Lorsque tu ouvres les yeux, à Pleyben un certain 23 juin, il   y a quatre-vingt-quatorze ans, qui aurait pu imaginer pareille pérégrination intellectuelle et géographique ?
Tu découvres le Brésil au tout début des années cinquante. 
Tu y rejoins Gilles et m’emmène "là-bas" - j’avais un an, tout juste. Les légendes familiales, lesquelles sont comme les romans bourgeois, racontent que j’aurais été dissimulé, car enfançon, dans les plis de ton corsage, car toute jeune femme, tu avais "des formes", selon les canons de la beauté féminine de l’époque, au moment de prendre place dans la Caravelle. Et ce sont mes pleurs qui auraient alerté, mais trop tard, les hôtesses de l’air : dommage, nous nous étions déjà envoyés dans les airs !
Tagada, tagada…Bonjour la France Gaullienne !!
Tu tomberas immédiatement sous le charme de cet immense sous-continent, de son métissage, hors toute fascination exotique, africano-européenne et tu t’attacheras pour toujours ão Braziu.
De ce point de vue, le hasard a bien fait les choses, car si, en effet, « un coup de dés jamais n’abolira le hasard », comment nier chez ces deux êtres, proches l’un de l’autre depuis 1946, la place immense de la haute poésie, et de Mallarmé, sans contredits aucuns. ? Et de ce Braziu hasardeux, féroce et fascinant comme le monde des sertaos de Rioboaldo et Diadorim, son amant
Mais, femme immensément libre, tu créeras, ton propre continent brésilien.
Dès le départ en 1967, tu es allée toujours vers l’exigence, et tu as continument martelé ta passion pour les mots : l’expérience qu’est la vie, sans peur-(s) et reproches.
Je vous laisse méditer ceci : les tout derniers jours de sa Vie, Marao relisait, pas si étrange que cela, le très beau Memoria de Tradutora de son Amie Rosa Freire D’Aguiar
Tu n’as traduit que des œuvres de haute littérature et es restée toujours, de façon endurante fidèle, à certains de ces écrivains, de ces auteures, qui ont si profondément marqué l’ensemble de la littérature lusophone, ses foyers de résistance comme le Cap-Vert, dans la lutte contre le salazarisme et le colonialisme. 
Manuel Ferreira, ton entrée en traduction, si on peut le dire ainsi, comme on parle d’un sacerdoce, en fut l’un des chantres, en particulier avec A Hora di Bai, sous un titre français, fort explicite Le Pain de l’Exode
Il est à remarquer que pour cette traduction - métier formidable, mais de chien - l’éditeur t’associera d’emblée et te mettra sous la tutelle de Gilles, ceci pour rappeler des réalités historiques - dépassées !! Encore que !!
Ce qui explique sans doute que ce soit un métier mal payé et très fortement, jusqu’à aujourd’hui encore, féminisé ! 
Il est aussi un point important, fil rouge dans ta vie - coïncidence ou réel hasard: qui saura le dire ! - mais Manuel Ferreira fut marié à l’écrivaine Cap-Verdienne Amarilis Orlanda (1924-2014) qui débutera, toute jeune, sa carrière littéraire en 1944 où elle collaborera à l’éphémère Certeza , magnifique revue en termes de résistances, sous surveillance de la censure salazariste, vues ses positions anti-colonialistes et anti-dictatoriales. Elle y écrira un long article Acerca da Mulher, son point de vue sur la situation de la femme au Cap-Vertdans les années cinquante.
Tu as continument défendu des textes proches, également, des foyers littéraro-intellectuels du monde luso-africain, pour l’inventivité de la langue à travers mixages, fusions, métissages, vagabondages : traduction géographico-politique de la réalité humaine de cet immense continent lusophone. Pourquoi, tu t’es passionnée pour Mia Couto dont tu as été pour le monde francophone l’introductrice pour ce qui regarde son œuvre romanesque. Car il a mille facettes et mille autres passions à son actif.
Là, encore, il est à remarquer ta fidélité endurante.
Tout ceci explique que Mia Couto ait effectivement été pressenti, depuis quelques années, au nombre des écrivains nobélisables.
Et, tu as gardé, toujours, en ligne de mire cette passion de l’Universel, cet attachement fondamental pour les  livres que l’on dit Monde, comme celui de Guimarães Rosa, Diadorim, pour le passé magnifique des geraïs brésiliens ou celui plus contemporain avec le plus beau livre d’Osman Lins O Fiel e a Pedra, le Fléau et la Pierre , un  auteur que tu t’es attachée avec détermination à faire connaître avec le soutien actif de Notre si Cher Maurice Nadeau (1911-2013)  et de ses Lettres Nouvelles, et dont on peut reconnaître que tu leur as été, à l’un et à l’autre, d’une fidélité sans faille. Mais Maurice - créateur des Lettres Nouvelles avec l’immense soutien de Geneviève Serreau, puis inventeur de la Quinzaine Littéraire - avait une immense confiance en ton jugement et surtout en ta compétence.
Pourquoi, tu es, une Immense Traductrice et Médiologue.
Ou pour le dire de façon plus poétique, Tu es, Passeuse Passionnée de Vie : « Le Seul Moyen de Vivre ».
Et, essentiel à dire, tu nous as, toutes ces longues années, tous et toutes emportées, emmenées, lectrices, lecteurs, sur les routes de la soie de la langue, un Merveilleux Voyage en Lusophonie franchissant, comme Marco Polo, avec une audace incroyable, époques et Continents Littéraires/ Géographiques sans craindre d’affronter les générations, car tu nous as également ouvertes toutes et tous, dans Ton Dialogue avec la plus jeune génération littéraire de cet immense Braziu : je pense, là, bien sûr,  à cette magnifique « jeune classe », si on peut le dire ainsi aujourd’hui, tel Bernardo Carvalho, Adriana Lunardi ou Max Mallmann. Et, bien plus encore, Daniel Galera
Pour reprendre, ce mot si beau de l’auteure québécoise - une de tes Amies, là encore - Nicole Brossard :   O Braziu, Ma Continent.
Mille mercis pour nous avoir flanquées toutes et tous dans tes bagages - en soute - pour un si magnifique Voyage en Terres Étrangères, et Grandes Traductions du Monde Entier, tout aussi improbables que les géographies hasardeuses que Gilles, qui nous a quittés (1923-2020) a tant et tant déployées (avec, fil rouge de toute son œuvre, un hommage en filigrane rendu à Fernand Braudel, cet immense historien de la géographie : je pense bien sûr à sa thèse « La Méditerranée à l’époque de Philippe II », dont j’ai longtemps, moi-même fait mon miel et que je lisais, presque aussi avidement que tous ces magnifiques romans que depuis tout jeune, tu m’as fait découvrir tout autant que Gilles.
En affection, Benoit
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